Les chiens dits particuliers
Les chiens en attente d’adoption ont tous un point commun : la perte de repères. Parmi ces chiens qui attendent une famille, certains ont un passif inimaginable comme celui d’avoir vécu dans la rue, ceux dont l’existence dérange, ceux qui sont voués à une vie de laboratoire et enfin, les chiens maltraités volontairement et les maltraités par méconnaissance.
Ce mois-ci, nous allons parler des lévriers d’Espagne.
Deux questions phares vont rythmer l’article : dans quel état physique et émotionnel arrivent les chiens ? Pour avoir le point de vue canin et ensuite le point de vue humain : dans quel état émotionnel cela met l’adoptant ? On oublie parfois de prendre en compte la psychologie humaine, mais elle est déterminante dans un binôme chien/humain.
Voici les histoires de trois lévriers sauvés que j’ai connus.
On connaît tous l’histoire des lévriers mutilés et tués pour leur contre-performance à la fin des saisons de chasse. Parmi eux, des chiens jeunes et moins jeunes sortis de maltraitance, pour ne pas dire torture, grâce aux associations locales. Ces associations agissent pour faire adopter les « lévriers espagnols » en France, notamment. Je vais vous parler de trois lévriers rapatriés en France depuis l’Espagne adoptés via différentes associations
La première chienne, Gala, la greyhound avait des marques de cigarettes sur tout le corps. Elle était marquée tant physiquement que psychologiquement. Elle était arrivée dans une maisonnée où un autre chien l’attendait. Elle s’était parfaitement intégrée à sa nouvelle famille. Je ne l’ai connu que tardivement donc elle avait déjà plus de cinq ans quand je l’ai rencontrée. Elle était d’une extrême douceur. Fusionnelle et en demande constante de câlins. Elle vivait avec une retraitée qui la trimballait de partout. Jamais séparée, toujours collée. Même quand venait l’heure du supermarché, hors de question de la laisser à la maison, elle était dans la voiture. Il a fallu lui redonner confiance. D’après mes souvenirs, c’était la mission principale : bienveillance, douceur et constance. Elle était devenue le parfait chien de compagnie. Une fois bien remise des douleurs du passé, seules les traces de brûlures permettaient de rappeler son passé.
La petite galga, Nina, a très probablement été trouvée dans la rue en Espagne. Elle y a passé ses jeunes mois. Récupérée par une association, stérilisée, identifiée, etc… Puis elle est arrivée dans sa nouvelle famille, où vivait un autre chien. Je la promène régulièrement et je suis agréablement surprise de constater son caractère joyeux, stable et curieux. Timide au départ, tout comme moi qui faisais attention de ne pas l’inhiber, ni l’inquiéter. J’ai découvert une chienne très amicale, très dynamique avec un très bon cardio. Elle se lie très facilement d’amitié avec les autres chiens. Je ne sais plus qui m’avait dit un jour « un lévrier ça court dix minutes et ensuite y' a plus personne ». Eh bien non, comme ses copains canins, un galgo fait son heure quotidienne en jouant et courant toute la promenade avec les copains.
Mon petit plaisir est de la voir s’installer directement sur son coussin à peine rentrée de promenade. Ne pas prendre de lévrier si on a une tendance radine niveau promenade. Il sera évidemment disponible pour les sorties supplémentaires. Aux dernières nouvelles, elle n’est pas trop du matin, surtout quand l’hiver s’installe. C’est un chien très proche de sa famille.
Après un tout petit temps d’adaptation, elle a été assez à l’aise pour montrer son vrai tempérament : arracher les rideaux et bazarder tout ce qui se trouvait à sa portée. Croyez-moi, un galgo qui se met debout...peu de choses ne sont pas à sa portée. Mode tornade enclenchée. Outre la peur de la solitude qui a pu se manifester, c’est surtout l’enfermement qui lui fait « péter un plomb ». Qu’elle soit enfermée dans 10m2 ou 80m2, si elle n’a pas accès au jardin, elle panique et fait tout tomber sur son passage : les objets sur les commodes, sur les plans de travail, sur le bureau, sur la table…l’essui-tout, les chaussures, les papiers : tout y passe. Ça peut être démoralisant, il faut le prendre en compte… Il vaut mieux avoir un master en calme et patience et penser très fort que dans toute évolution, il y a des phases de régression. Même si cette peur panique dure encore trois ans, ça ne pourra que s’atténuer avec le temps !
C’était le cas également pour la jeune Podenco arrivée par camion en France. Là, c’est une association qui embauche un transporteur pour ramener un camion entier de lévriers. 1 lévrier/caisse. A l’arrivée, les adoptants, préalablement triés et sélectionnés, attendent l’arrivée du camion. Les adoptants rencontrent leur petit protégé à la descente du camion. La grande vie commence. Miss Podenco, six mois, découvre la chaleur d’un foyer bien organisé. Un foyer qui compte un vieux chien et un chat. Un foyer calme, posé et silencieux. L’adoptante s’est vue attribuée un lévrier malgré son âge et sa petite forme physique (adaptée pour la promenade d’un vieux chien mais totalement inadaptée dans ce contexte-là). Malheureusement, l’adoptante s’est immédiatement retrouvée dépassée. Une chienne qui faisait des bonds incroyables en bout de laisse. Qui était avide de courir à ne plus en pouvoir. L’adoptante pensait la défouler dans son jardin mais la chienne en profitait pour prendre son élan et passer chez le voisin. Elle ne se sentait pas non plus de la promener en longe, ni même de gérer la longe durant la promenade. Pas de compromis possible et la chienne était cantonnée à l’intérieur de la maison.
En intérieur, la chienne se prenait pour un chat. Elle sautait de la commode au canapé, jusqu’à la table. Elle détruisait et hurlait dès qu’elle se retrouvait seule. Si la personne se reconnaît, j’insiste sur le fait qu’il n’y a pas de jugement de ma part. L’objectif unique est de témoigner et de présenter la réalité derrière les adoptions.
Cette chienne avait besoin de tout ce que l’adoptante ne pouvait pas offrir…
Malheureusement, il y avait une énorme incompatibilité entre les attentes toutes légitimes soient-elles de l’adoptante et les besoins du chien. Pensez bien que même si on vous valide une adoption, une connaissance éclairée de ce qui vous attend est primordial. Un jeune chien reste un jeune chien. Un chien qui manque de promenades, qui a manqué de stabilité émotionnelle aura besoin de beaucoup. Il y aura énormément de manque à combler, peut-être même plus qu’un chien « né dans une bonne famille ».
Adopter un lévrier, c’est faire une belle action, c’est sauver un chien de la torture, de la rue, d’un avenir incertain.
Sentir la reconnaissance : c’est très gratifiant, c’est très précieux, c’est ce qui réconforte les cœurs, mais adopter un lévrier c’est aussi entrer dans le monde de la sensibilité, des émotions, de l’énergie pure et dure. Apprendre les codes canins, prendre en compte les signaux subtils des lévriers. Avoir des dégâts à hauteur d’homme… Un lévrier qui panique dans une maison… selon sa taille une fois sur ses deux pattes arrières, cela peut vite faire 1m70 de dégâts : commode, armoires, plan de travail, rideau, etc…
Ils sont fins et élancés mais ce n’est que du muscle « utile » et ne minimisez pas leur puissance : mâchoire très efficace et quand ça tire en laisse...ça ne fait pas semblant.
Il est très probable que l’association vous recommande de ne pas détacher le chien hors jardin clos les premières semaines mais votre petit bout de jardin ne lui permettra pas de se défouler. Il lui faudra une grande longe et surtout votre motivation pour l’emmener promener autant qu’il aura d’énergie à dépenser. Il faudra profiter de ce temps pour lui apprendre le rappel et faire de vraies balades de galgo très bientôt.